° Cantat en vie...°
* Cantat en vie...*
- Quand t'as envie...
14 mai 2014.
C’est aujourd’hui, les « retrouvailles » avec Bertrand Cantat.
C’était assez confus, encore quelques minutes avant le concert, devant l’Aéronef de Lille.
Noir Désir, Bertrand Cantat, LE monument musical de ma vie.
Depuis l’adolescence. Les mots, la poésie, la sensibilité de ses textes, de sa voix, les riffs de Serge Teyssot-Gay, le rythme de Denis Barthe, la discrétion de Frédéric Vidalenc puis de Jean-Paul Roy.
L’énergie musicale, la conscience engagée, la beauté métaphorique. Les univers de Noir Désir sont multiples et ont planté leurs fondations dans mon cerveau depuis presque 20 ans.
Découverts pour mes 15 ans, avec « Tostaky, » ils ont marqué mes 17 ans avec « 666.667 Club » en boucle à l’aube d’un renouveau, puis le 11 septembre 2001, avec « Des Visages des Figures », dernier album, 9 ans avant la fin du groupe. Et donc, anachroniquement, les albums précédents découverts « sur le tard », après leurs sorties.
Je les ai vus en live en 2002 aux Francofolies de la Rochelle, et au Zénith de Lille à l’automne de la même année, souvenirs impérissables, bouquet final des années « vivantes » de Noir Désir pour moi.
A cette époque, tant d’émotions fortes positives ont fait partie de ma construction et m'ont faite grandir en m’ouvrant l’horizon à de nouvelles perspectives de conscience littéraires, musicales, politiques, entre autres.
Un ressenti unique à leur écoute, dépassant tous les autres artistes écoutés. De la botanique, des graines plantées, germées dans mon cerveau, une harmonie avec ma manière de vivre, de penser, et mes valeurs.
Des années charnières, une sensibilité extraordinaire, des textes magnifiques, des mélodies impérissables, des engagements et prises de positions mémorables, un parcours remarquable.
A l’époque, j’avais le même « PDG », l’UGC appartenant à Vivendi. Le discours à Jean-Marie Messier aux Victoires de la Musique m’avait marquée. J’me souviens que j’avais cru, avec crainte, à la fin du groupe en regardant ça en direct.
Et puis, l’histoire s’est mêlée d’histoires, parcours entaché à maintes reprises.
2003, Vilnius, évidemment.
La nuit irréelle de la Ste Anne et l’été caniculaire qui s’en est suivi. « L’Expérience des limites ».
L’improbable chute et la descente aux enfers d’une icône du Rock, qui véhiculait des idées diamétralement opposées à ses actes cette nuit-là.
Une femme est morte sous ses coups. Il est en prison.
« Il purge sa peine ». Non-sens.
Comment « purger » une peine éternellement inconsolable, le vocabulaire judiciaire est inadapté.
Cet été-là, débordant d’empathie pour le camp du « méchant », l’homme, au-delà de l’artiste, j’assume le parti-pris. J'en ai presque besoin.
Tout ça est indissociable. Tout comme le sont, le cœur et la raison. « L’équilibre est fragile ».
On a beaucoup transposé du point de vue des Trintignant, évidemment, l’acte est inacceptable.
Ce qu’il a fait va à l’encontre de mes valeurs évidemment.
Même si je ne cautionne pas cette violence, un individu ne peut pas se limiter à un acte. Si on transpose dans l'autre sens, si quelqu’un avait perdu la vie, sous les coups de l’un de mes proches, ou d'un membre de ma famille, aurait-il fallu pour autant renier tout ce qu’il avait pu être et faire auparavant, lui tourner le dos, le laisser couler, voire l'accabler d'avantage ?
Ca aussi, c’est à l’encontre de mes valeurs.
Quelques années plus tard, en 2010, arrivent d’autres zones d’ombres, frappé(e) par le suicide de Kristina Rady, épouse et mère de ses enfants, un week-end de janvier. Moi aussi dévastée par le suicide d’un proche, appris également ce jour-là. Le personnel se mélange, encore.
La personnalité de Cantat, ou ce que les médias en savent et veulent en dire, est à nouveau mise en avant, négativement évidemment. Il fait à nouveau les choux gras de la presse à scandale. Lui, l'auteur de "l'Homme Pressé".
"Il n'y a plus de secrets,
Je suis le Roi des rois.
Explosé l'audimat,
Pulvérisée l'audience.
(...)
On crache la nourriture
A ces yeux affamés,
Vous voyez qu'ils demandent,
Nous les savons avides
De notre pourriture,
Mieux que d'la confiture
A des cochons."
A la fin de cette année-là, bien que Noir Désir ait précédemment enregistré deux nouveaux morceaux, c’est de « désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat, rajoutés au sentiment d'indécence qui caractérise la situation du groupe depuis plusieurs années » dont parle Sergio en signant la fin du groupe, sur un coup de tête, presque inévitable, suite à une soirée houleuse avec Cantat. Les yeux se tournent vers un Denis Barthe dépassé et résigné au milieu d'eux, qui n'a d'autre choix que de confirmer la mort de Noir Désir, bien que moins radical que Teyssot-Gay dans sa déclaration.
Le groupe est né la même année que moi, il meurt pour mes 30 ans.
Epitaphe : Noir Désir : 1980/2010.
« Qui savait au début qu’il y aurait une fin ».
Oui, tout ça existe, tout ça est arrivé. Il n’y a pas de transparence réelle, à mon niveau je n’aurais jamais tous les éléments pour comprendre, mais, évidemment, le malaise est là.
Il l’est pour beaucoup et il est immense.
Et puis, trois ans passent, après quelques collaborations, il revient. Quand même.
Pas à Pas, mais pas sur la pointe des pieds.
Sous le nom de « Détroit », avec Pascal Humbert.
“Un détroit n’est jamais anodin. C’est un élément d’équilibre. Une ponctuation dans le paysage. Un trait d’union entre deux immensités. C’est là où s’unissent les courants. C’est là où se rencontrent les flux venus de loin, là où tous les horizons mêlent leurs reflets. C’est là aussi où les voyageurs, les astres et les embruns croisent leurs destinées. Sur la carte du monde, Bertrand Cantat et Pascal Humbert ont donc choisi. Leur projet musical - Détroit - sera celui du passage, des migrations, des survols et des vents croisés. Et quel plus bel endroit qu’un Détroit pour donner rendez-vous aux autres, si ce n’est à soi-même ?”
Son visage apparaît, « Droit dans le soleil », en direct d’un banc dans un jardin, sous le soleil ombragé. Les doigts de Pascal Humbert, dont je découvre le visage, marqués par les cordes, et son visage, à lui, par les traces du temps et des épreuves passées ; les yeux droits dans ses pensées, et dans la partition, à peine tournés vers l’objectif.
Ca se voit, sur son visage. Forcément.
Il me touche, me transperce, les yeux fermés.
Le voir comme ça… Je ne m’y attendais pas forcément, mais ça me dérange.
Ce qui me gêne, me rend mal à l’aise, c’est que ça ressemble à de la com’ cette tronche pas coiffée, les cheveux crades, la barbe poivre et sel, son histoire racontée à demi-mot dans les traits marqués de son visage et dans ce texte inédit.
C’est presque mis en scène, et je ressens le malaise.
Il a, ou joue, le visage de la rédemption, mais aussi celui de la victimisation.
Oui, j’adhère, le morceau est beau, la poésie subtile, la voix intacte, la sensibilité est là, j’y retrouve son empreinte.
Sa voix est un des instruments de musique qui me fait ressentir le plus d’émotions.
L’impatience de la suite est là, mais tout ça est quand même terni.
Et son visage s'offre une couverture médiatique.
L’écoute de l’album "Horizons" est dans la même veine, je suis soulagée de constater que les émotions passent, mais je bute sur quelques obstacles, dans les paroles de certains morceaux, où le côté autobiographique, bien que poétique, réveille ce sentiment de malaise. Notamment sur "Mon Ange de Désolation".
J'accroche directement sur "Glimmer in your eyes", parce que l'anglais, même si ça n'est pas son fort, à la première écoute, ne me perturbe pas vraiment par le texte. Et sa voix y est magnifique. "Null & Void", déjà sorti en single dans la même langue renvoie au rock et passe vraiment bien, même si le titre me laisse dubitative. "Horizons" dépeint l'univers carcéral, déjà évoqué dans l'interview des Inrocks, je reconnais les mêmes phrases, en mode "poésie Cantatique". "Le Creux de ta main" percute, parce qu'elle sonne tellement Noir Désir...
Pour conclure l'album, le choix de la reprise de Léo Ferré n'est pas forcément le plus approprié, même si sa voix transperce... "Avec le temps..."
Je regarde avec attention la "Deezer Session", il est humble, fermé, mais il est là.
Sa voix est là, ses morceaux sont là, ils existent.
Je pense furtivement à une tournée, classique après une sortie d’album, mais pas évidente dans ce cas particulier. Cantat sur scène, c’est quand même une autre étape.
Finalement, 3 dates de concerts sont annoncées à la Cigale à Paris.
J’ai peine à y croire. Mais je ne peux pas passer à côté. Les billets s’arrachent en 5 minutes dès la mise en vente, et deux nouvelles dates la même semaine sont annoncées dans la même salle. J’y serai, entre autres le 1er juin, une date qui me touche tout particulièrement, "A ton étoile" aura une résonnance toute particulière ce soir-là.
Le côté intimiste me rassure, je n’imagine pas un retour sous les feux d’un Zénith, l’album de Détroit ne correspond pas à ce type d’ambiance, et le retour de Cantat sur scène est quand même un pari risqué. Je lis pas mal de choses, concernant notamment sa propre sécurité. Evidemment, ce retour est controversé.
Les 5 dates sont complètes en moins de 30 minutes.
Visiblement, il est attendu.
La tournée s’organise -ou est organisée-, et d’autres dates fleurissent à travers les villes de France et de Belgique, dans des petites salles également. Ils passeront par Lille finalement, je serai à l’Aéronef, évidemment.
Ca me plaît moins, par la suite de voir qu’ils écument également tous les grands festivals de l’été, ils seront au Main Square d’Arras, entre autres, je n’irai pas.
Ca me plaît encore moins encore, quand je commence à voir les dates prévues pour l’Automne, cette fois dans les Zéniths de toutes les villes. Ils repasseront par Lille, je n’irai pas.
L’indécence prend son sens.
Malaise aussi, quand même, d’aller voir sur scène, cet homme-là, et de le voir se faire applaudir, voire de l’applaudir. Bien qu’ayant très envie d’y être, je suis également très partagée.
Et puis, même en évitant les vidéos des concerts de début de tournée sur YouTube, je tombe sur la setlist.
Je le craignais, je l’attendais, les titres sont là.
Ceux de Détroit évidemment.
Mais ceux de Noir Désir également.
J’ai vu Serge Teyssot-Gay sur scène il y a quelques semaines, avec Krzysztof Styczynski, dont le timbre de voix est presque identique à celui de Cantat. C’était presque triste de voir Sergio comme ça, avec un ersatz.
Aucune référence à Noir Désir évidemment.
Les « morts » restent où ils sont. Et pourtant comment penser à autre chose?
Mais Cantat, lui, se permet d'inviter les fantômes en enrichissant l’album de Détroit des morceaux plus anciens de Noir Désir.
Ca me dérange pour le principe, mais j’en ai tellement envie aussi.
C'est lui la voix du groupe. C'est lui l'écriture des textes.
Ca fait 12 ans que j’ai pas vécu un "Tostaky" live, mais c’est différent aujourd’hui.
Alors j’attends de voir.
La date arrive, 14 mai 2014, donc.
J’y suis, juste devant la scène. Autour de moi, les commentaires récurrents « j’attends ça depuis tellement d’années… », « ça me rappelle tellement de choses »...
Il arrive, il est là.
A le regarder, il n’a presque pas changé, et pourtant tellement.
Et moi aussi, normal en 12 ans. Avec dans les pensées, les absents.
Le voir là, si proche, debout devant moi.
Comment dans ces conditions distinguer l’homme, l’artiste et l’œuvre alors qu’il est juste là.
Mon appréhension était justifiée. « A la réflexion ». Mais il n’est même plus question de ça. Je ne réfléchis plus, je ressens, et je vibre. Ca tiraille quand même, mais après le premier morceau, je suis comme aspirée pour un voyage émotionnel dans l’espace-temps.
L’alternance des morceaux de Détroit et de Noir Désir emmène le balancier du temps d’avant en arrière, j’ai 17 ans, j’en ai 34, la moitié de ma vie.
Sa présence sur scène, entre la force et l’énergie de son rock et la douceur de certaines mélodies, le tout teinté de poésie, crée une autre vague de ressenti, un autre équilibre.
Sombre héros de l’amer, surplombant le bain de foule de la marée humaine autour de moi, on sent le flux et le reflux, les choeurs qui montent ou s’apaisent au fil de l’eau, au fil des morceaux qui s’enchaînent et déchaînent.
Equilibriste, il marche sur un fil, très assuré.
Cantat résonne et raisonne, certains titres étaient devenus injouables. Notamment « La Chaleur », donc la prémonition décrite dans ce texte, ainsi que l’énergie qu’il y mettait sur scène en même temps, auraient rendu le malaise bien trop présent.
Le choix des anciens morceaux est judicieux, pas anodin sans doute, et certaines paroles tirées de certains d’entre eux prennent une consonance toute particulière remis au goût du jour, bien qu’écrits il y a plus d’une décennie. Par exemple, le morceau « Le vent nous portera», complètement réinvesti, splendide.
En le regardant chanter, jouer de la guitare, sourire, être vivant, communicatif, débordant de générosité, être si solaire, être beau... Le sentiment est quand même étrange.
J’ai déjà vécu ça, avant. Et puis, je suis tombée d’une tour, j’ai eu peur pour sa vie, j’ai eu peur que tout s’arrête… Je le regarde et le mot « résurrection » s’impose à moi.
Devant moi, je vois de la vie.
Pas l'indécence, mais l'incandescence. Juste à souffler sur les braises, la flamme est toujours là.
Le malaise revient quand même par vague, leurs visages, leurs ombres dansent autour de lui, les siennes mais aussi les miennes.
Mes étoiles auraient dû y être aussi. Moi aussi je vis avec des fantômes, pour d’autres raisons.
Lequel des trois est encore là ?
Le seul des trois restant, là, c’est lui.
Et c’est moi aussi.
Malaise à l’idée du Phoenix qui renaît des cendres. Des autres.
Mais je dois reconnaître qu’il est très très fort.
Physiquement, sa carrure est imposante (le micro n’est pas exactement à la même taille de celui de Brian Molko ou Damien Saez…). Il faut le savoir, qu’il porte 50 ans et le poids de ce passé, ça ne se voit pas.
Psychologiquement, il est revenu de l’enfer, au moins par bribes, et clairement sur scène, la sincérité est là. Sa proximité est omniprésente avec le public, sa présence, son énergie, presque animale, est toujours là.
Son visage est souriant, loin de l’image renvoyée par le clip de son retour. Ce retour pas à pas, a été brillamment orchestré, il a, à son tour, su profiter des médias, les mêmes dont Noir Désir restait si éloigné, les mêmes qu’il dénonçait, il a su rassembler autour de lui, en partie grâce à eux.
Et il s’est chargé du reste.
Introduire les nouveaux morceaux, envoyer la foule en apesanteur, avec un "Tostaky", indémodable, les pieds ne touchant plus le sol, au sens propre et au sens figuré...
Pour terminer avec un "Comme elle vient" hors du commun dans la liesse générale...
Le résultat est magique et magistral.
J’ai assisté à des centaines de concerts, plus ou moins marquants. C’était la première fois qu’un moment de partage et d’échange pareil était empreint d’autant de nostalgie, et cette date restera pour moi la plus forte de toutes celles auxquelles j’ai pu assister.
Bertrand Cantat réussit à nouveau, à nous faire vivre, à me faire vivre, ces moments si précieux, ces moments d’apesanteur lorsque la musique dépasse tout et fait tomber les barrières.
Les émotions sont inconditionnelles, comme la plupart de ceux qui étaient réunis dans cette salle ce soir-là.
« Acclamez, sifflez l’homme nouveau.. ».
L’homme n’est évidemment pas applaudi pour ses actes personnels.
L’homme, l’artiste qu’est Bertrand Cantat est applaudi pour les émotions qu’il sait transmettre et faire partager à travers ce qu'il fait et ce qu'il est. Pour ces moments si intenses vécus pendant plus de deux heures par quelques centaines de personnes.
Finalement, je veux y retourner aussi au Zénith, j'ai encore envie de vivre ça.
Un vrai échange, des remerciements mutuels, parce que peut-être, justement,
égoïstement, on en avait envie.
Et peut-être juste que...
« Nous, on veut de la Vie, longtemps, longtemps, longtemps…. »
Alors, vivement la suite....